REDUCTION DE
RECHUTE PAR LE TRAITEMENT COGNITIF ET COMPORTEMENTAL (TC&C)
Le souci de
démontrer scientifiquement l’efficacité du traitement psychothérapeutique fait
partie de l’idéologie même du courant cognitiviste et comportementaliste. De
nombreuses recherches publiées dans la littérature tentent de répondre à cette
question, mais la qualité méthodologique de ces études est fort variable. Il va
de soi que le modèle idéal, à savoir une allocation aléatoire des agresseurs
sexuels soit au groupe expérimental de tc&c soit au groupe contrôle de
non-traitement, pose de multiples problèmes tant sur le plan méthodologique
qu’éthique. L’analyse des difficultés propres à l’évaluation des interventions
psychothérapeutiques dans le cas particulier des agresseurs sexuels dépasse
toutefois le cadre de cette contribution – voir à ce sujet Quinsey et al .
1993). Il y a le problème du choix des groupes de contrôle adéquats, de la
durée du suivi et des années à risque, de la définition de la notion de rechute
(sexuelle, violence, non sexuelle), de la comptabilisation des rechutes
(arrestations, condamnations ou informations informelles).
Nous prendrons
comme point de départ deux chapitres de livres publiés récemment :
Marshall, Anderson et Fernandez (1999), et Rice, Harris et Quinsey (2001). Ces auteurs sont des autorités
reconnues dans le domaine concerné et ils ont des points de vues contrastés
voire opposés. Ensuite nous passerons en revue quatre intéressantes
meta-analyses : Hall (1995), Hanson et Bussière (1998), Alexander (1999)
et ATSA (1999).
Les critères
minimaux de sélection des recherches retenues sont les suivants : 1/
traitement comportemental ou cognitif et comportemental (ambulatoire ou
résidentiel pénitentiaire avec généralement un suivi), 2/ un minimum absolu de
10 patients (pas d’études de cas), 3/ un groupe contrôle non-traité acceptable,
4/ informations sur la récidive sexuelle durant la période de suivi.
Résultats négatifs
Marshall et al.
retient quatre recherche publiées où le taux de récidive sexuelle du groupe de
tc&c n’était guère inférieur à celui du groupe contrôle non-traité (table
1).
Rice et al. (1991) ont évalué des patients d’une unité psychiatrique
de haute sécurité traité par une combinaison de techniques aversives du
comportement sexuel déviant avec des séances d’entraînement aux habilités
sociales et des séances d’éducation sexuelle. Le groupe contrôle était
constitué de patients non-traités pour raison administrative. Le résultat
négatif peut s’expliquer par le programme de traitement obsolète par rapport
aux pratiques actuelles et l’absence de suivi thérapeutique en fin de
traitement. La même remarque de traitement obsolète s’applique à l’étude de Hanson et al. (1993) concernant
l’évaluation rétrospective de 197 abuseurs d’enfants relâchés d’une prison
provinciale de l’Ontario entre 1958 et 1974.
Par contre, le
programme SOTEP (Sex Offender Treatment and Evaluation Project) de Marques et al. (2000) à l’Hôpital
Atascadero en Californie est un grand essai comparatif randomisé. Un total de
392 abuseurs d’enfants ou violeurs ont été recrutés entre 1985 et 1994 et
aléatoirement assigné à un groupe de tc&c ou un groupe de non-traitement.
Après 5 années de
risque les 167 sujets ayant complété le traitement avaient un taux de rechute
sexuel plus faible (10.8%) que les 225 sujets contrôles également volontaires
au traitement (13.8%). Un troisième groupe de 220 contrôles non-volontaires au
traitement avaient un taux de rechute de 13.2%. Cette tendance en faveur du
traitement s’est confirmée au cours de l’étude mais sans atteindre le seuil de
signification statistique. Ceux qui ont abandonné le traitement (‘drop-outs’)
présentent le taux de rechute le plus élevé (18.9%).
L’étude
rétrospective des Canadiens Quinsey et
al. (1998) concerne des détenus traités entre 1976 et 1989 et relâchés avant 1992. Le groupe tc&c
(n=213) présente un taux de rechute sexuelle de 33%, chiffre plus élevé que
celui des groupes contrôles choisis : 9% pour le groupe de 183 détenus
pour lesquels on a jugé le traitement non nécessaire, 17% de rechute pour les
52 qui ont refusé l’offre de tc&c, et 11%
pour lesquels le traitement était inadapté (non connaissance de la
langue, quotient intellectuel…).
Cette recherche
pose le difficile problème du choix du groupe de contrôle adéquat car Looman et al. (2000) ont repris le même
groupe de 213 agresseurs sexuels de l’étude de Quinsey et al. (1998) mais en le
comparant avec un groupe contrôle plus recherché et sophistiqué (‘matched pair
control’). Pour chaque agresseur traité ils ont cherché un agresseur non traité
du même âge, ayant commis leur agression sexuelle dans la même année et
présentant un nombre semblable de condamnations antérieures. Ils arrivent à la conclusion intéressante et
inverse de Quinsey et al. ; le taux de récidive sexuelle du groupe
tc&c est de 23.6% et celui des ‘matched controls’ non traités de 51.7%
(table 2). L’effet positif du traitement est hautement significatif.
Résultats positifs
Outre la
réévaluation éminemment encourageante par Looman
et al. (2000) de l’étude de Quinsey et al. (1998) nous relevons 8 autres
recherches rencontrant les critères méthodologiques mentionnés (table 2).
Marshall reprend dans sa revue de la littérature ses deux recherches des années ’80, l’une concernant des abuseurs d’enfants (Marshall et al. 1988) et l’autre des exhibitionnistes (Marshall et al. 1991). Le tc&c
était prodigué en ambulatoire et le groupe contrôle concernait des sujets
habitant à une distance trop éloignée que pour suivre le traitement
expérimental. Les auteurs ont eu accès à des documents non officiels concernant
les récidives et ceux ci donnaient un taux de récidive plus du double du
chiffre officiel.
Les résultats de
Marshall et al. sont nettement en faveur du traitement, même si des critiques
ont été formulées par le groupe de Quinsey quant à la validité de la mesure du
taux de rechute sexuelle (Quinsey et al, 1993 et Rice et al. 2001). Ces auteurs
sont très exigeants au point de vue méthodologique en ne retenant comme
scientifiquement valable que des recherches comparatives randomisées. En
plaçant la barre si haut, ils ne peuvent que retenir peu ou prou d’études et en
conséquence constater que scientifiquement tout reste à prouver dans le domaine
de l’efficacité du traitement des agresseurs sexuels. Cette conclusion
défaitiste ne tient pas compte des problèmes éthiques soulevés par une
recherche comparative randomisée dans le domaine de l’agression sexuelle. Notons que les chercheurs des méta-analyses
que nous verrons plus loin reprennent ces recherches de Marshall et al. dans
leurs analyses statistiques, estimant à juste titre qu’elles présentent un
niveau d’élaboration statistique satisfaisant.
Rice, Harris et
Quinsey (2001) tirent toutefois des conclusions intéressantes de leur analyse
critique de la littérature des programmes de traitement pénitentiaires. Les
caractéristiques des programmes de traitement ‘prometteurs’ quant à la
réduction du taux de récidive sont : un entraînement pratique mettant
l’accent sur les aptitudes d’auto-gestion et de résolution des problèmes ;
le développement d’attitudes pro-sociales et anti-criminelles ; une
approche directive mais non-punitive ; mettre l’accent sur la modification
des antécédents au comportement criminel ; une supervision dans la
communauté afin d’évaluer ou d’enseigner les aptitudes nécessaires ; une
clientèle à risque moyennement élevé.
Ces mêmes auteurs
mentionnent les caractéristiques des programmes de traitement qui sont apparemment
inefficaces voire contre-productifs : une attitude de confrontation sans
développer les aptitudes nécessaires ; une approche non-directive ;
mettre l’accent sur des facteurs sans relation avec la criminogénèse (par
exemple travailler l’estime se soi sans modifier le comportement
pro-criminel) ; l’utilisation de thérapies verbales sophistiquées ;
une clientèle à faible risque.
Steele (1995) rapporte les résultats d’un programme de
traitement pénitentiaire du Minnesota
(TSOP, Transitional Sex Offender Program) en comparant 303 agresseurs sexuels
ayant complété leur programme de traitement avec un groupe contrôle de 125 (N
total=428) agresseurs qui n’ont pas complété le programme (non coopération ou
non respect des règles institutionnelles). Avec un suivi de 1-11 ans, le taux
de récidive global des agresseurs sexuels est de 9.57% pour les traités et de
16% pour les contrôles. Les violeurs
traités ont rechutés dans 14.5% des cas, contre 27.3% pour les contrôles. Parmi
les abuseurs d’enfants, les chiffres sont respectivement de 8.6% pour les
traités et de 20.8% pour les autres. Le Minnesota a le taux le plus faible des
EU pour l’incarcération des agresseurs sexuels et la population étudiée
concerne des crimes et agressions sexuelles sévères.
McGrath et al. (1998) a examiné le taux de rechute de 111
abuseurs suivi dans la communauté.
Des 71 abuseurs
ayant terminé un traitement spécialisé un seul commit une nouvelle offense
durant la période de suivi de 5ans. Ceux qui refusèrent le traitement ont
récidivé dans 10.5% des cas, et ceux qui
suivirent un traitement non spécialisé ont rechuté dans 15.6% des cas.
Bakker et al. (1998) ont suivi 238 abuseurs d’enfants traités
durant 2 années après leur séjour en prison, en parallèle avec un groupe
contrôle non traité de 283 abuseurs. Le taux de récidive était nettement plus
bas pour le groupe traité (8%) que pour le groupe contrôle (21%).
Proulx et al. (1998) ont
comparé des abuseurs sexuels ayant terminé leur programme de traitement avec
ceux qui ont décroché en cours de traitement. Les résultats sont
édifiants tant pour le groupe d’abuseurs d’enfants que pour un second
groupe de violeurs. On relève un taux de rechute de 5.7% pour les 63 abuseurs
d’enfants ayant terminé le traitement contre un taux de 33.3% pour les 39 qui
ont décroché en cours de traitement. Les résultats pour les violeurs vont dans
le même sens : 38.5% de rechutes pour les 46 sujets traités intégralement
contre 70.8% de rechutes pour les 24 violeurs qui ont décroché du traitement.
Une observation intéressante concerne le moment des rechutes durant la période
de suivi de 4 ans. Les abuseurs d’enfants traités ne rechutaient qu’après un
délai de 2ans, tandis que les ‘décrocheurs’ du traitement récidivaient
rapidement après leur retour dans la communauté. Ces derniers atteignaient leur
taux maximum de rechute déjà à la fin de la première année de risque.
La recherche de Nicholaichuk et al. (2000), effectuée
dans un centre psychiatrique régional du système pénitentiaire canadien,
confirme l’effet positif du traitement d’un groupe (n=296) d’abuseurs sexuels
traité (6.1% de rechutes sexuelles violentes) en comparaison avec un groupe de
contrôle (N=283) non traité (20.5% de
rechutes sexuelles violentes). Ces résultats positifs concernent aussi bien le
taux de rechute sexuelle total, 14.5% (traités) versus 33.2% (non traités) que
les sous groupes d’abuseurs d’enfants (18.4% versus 61.9%) et de violeurs
(14.3% versus 42%).
Les sujets
concernés par la recherche sont considérés comme à haut risque et le groupe
contrôle a été soigneusement choisi.
Les données de Worling et al. (1998) sont
intéressantes car elles concernent des adolescents traités et non traités. Les
58 sujets traités montraient un taux de rechute nettement inférieur (5%) à
celui des adolescents non traités (18%) et ce tant pour la délinquance sexuelle
que non sexuelle.
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