LE MODELE DE LA ‘PREVENTION
DE LA RECIDIVE’
La ‘prévention de la récidive’ n’est pas une modalité théorique qui
rendrait compte de l’étiologie de la déviance sexuelle, mais une approche
thérapeutique qui a d’abord trouvé son champ d’application dans le domaine des
dépendances comme le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie (Georges et
Marlatt, 1989). . Le modèle de base de a
été modifié et progressivement adapté au domaine des ‘actes violents’ et des
abus sexuels (Laws, 1989).
La prévention de la récidive est, dans son fondement, un programme
d’auto-contrôle dont le but est d’éviter que ne se déclenche à nouveau le
processus qui mène un sujet à commettre un nouvel abus sexuel. Dans ce cadre,
elle recherche le maintien à long terme des changements du comportement induit
par une thérapie. Pour ce faire, elle intègre les théories et techniques
thérapeutiques émanant des courants comportementalistes et cognitivistes
qu’elle utilise pour apprendre aux sujets différentes possibilités d’anticiper
et de traiter adéquatement le problème de la rechute.
La prévention de la récidive en tant que modalité thérapeutique se réfère à
une série de facteurs conduisant le sujet à l’abus : c’est « la
chaîne des événements qui conduisent à l’abus ». Cette chaîne des
événements, en tenant compte à la fois de l’abus sexuel et de ses préambules,
permet une vue d’ensemble du passage à l’acte. Elle aide à déterminer la façon
dont l’abus a pris forme et les déficits auxquels il convient de remédier. Ces
déficits propres au sujet et sur lesquels le travail se focalise peuvent être
identifiés dans les différentes étapes de la chaîne des événements qui
conduisent à l’abus.
L’abus sexuel comporte un préambule qui se
situe non seulement dans le passé lointain (éducation, événements
traumatisants,...), mais aussi dans le passé proche (dans les heures et jours
précédant l’abus). De nombreux délinquants sexuels ne le conçoivent pas ainsi :
ils se décrivent comme soudainement pris par une impulsion irrésistible dont
ils n’ont plus le contrôle ou ils ne se rappellent pas la façon dont ça a pu
leur arriver. Cependant, selon la chaîne des événements qui conduisent à
l’abus, ce comportement sexuel ne surgit pas du néant, mais se situe dans une
trajectoire qui relève d’apprentissages successifs. A chaque étape de cette
trajectoire, le sujet abuseur peut être aidé à percevoir des signaux d’alarme
qui sont d’ordre comportemental (ce qu’il fait), affectif (ce qu’il ressent à
chaque moment) ou cognitif (ce qu’il se dit à soi-même et justifie la poursuite
dans la chaîne). Par le traitement il
apprendra à reconnaître les situations à haut risque et à intervenir
efficacement afin d’éviter que ne se déclenche à nouveau le processus qui le
conduit au comportement d’abus sexuel. De cette manière, la responsabilité de
l’acte est restituée à son auteur : il peut reconnaître le processus qui
le conduit à l’abus sexuel, apprendre à repérer les signaux d’alarme et arriver
à maitriser la situation.
Ce modèle de prévention de la récidive
présuppose que l’abuseur choisit de modifier son comportement et échoue lorsque
le sujet choisit délibérément pour l’abus sexuel. En conséquence le modèle
a été re-conceptualisé d’une façon intéressante par Ward et Hudson (Laws,
2001). Nous limiterons cette discussion à une description succinte de la chaîne
de l’abus telle qu’elle est utilisée dans le Centre Hospitalier Universitaire
d’Anvers (fig.1).
Ø Le déséquilibre du
style de vie est le premier
élément de la chaîne des événements qui conduisent à l’abus. La vie d’un
abuseur sexuel peut, antérieurement à l’abus, être équilibrée pendant un
certain temps, c’est à dire qu’il existe un équilibre entre des éléments qui
favorisent son bien-être et d’autres qui l’entravent. Cependant, à un moment
donné, la balance peut pencher du côté négatif aidée en ceci par des éléments
qui entravent le bien-être.
Ø Un événement critique
(incident externe désagréable, situation conflictuelle, état émotionnel
négatif) est souvent le deuxième élément observé dans la chaîne des événements
et il amplifie subitement les problèmes existants.
Ø L’envie de se laisser
aller ou de s’offrir du bon temps apparaît chez un sujet en réaction au
sentiment de ‘privation’ (en anglais, deprivation)
ou à un sentiment d’incapacité. Ce sentiment s’accompagne souvent de cognitions
telles que : « je ne me sens pas bien ; maintenant c’en est assez, il
faut aussi que je puisse en profiter ». Le sujet part alors à la recherche
de quelque chose qui puisse le soulager afin de retrouver un équilibre plus favorable
et d’éliminer son sentiment de vécu négatif de privation.
Ø Apparaît ensuite le besoin
de satisfaction immédiate. L’abuseur,
qui cherche à satisfaire ses besoins et à retrouver son équilibre, choisit rarement une solution qui aborde le
problème et le résout. Au contraire, il recherche une solution rapide ou une
compensation sans aborder efficacement le problème qui se pose et reste ainsi
non résolu. Il faut cependant remarquer que la solution adoptée n’est pas
nécessairement un des événements qui conduiront à l’abus sexuel. Dans le cas de
la délinquance sexuelle, le besoin de satisfaction immédiate peut être défini
comme l’expérience d’une ‘envie sexuelle’, d’un ‘désir ardent’ (craving) et d’une tendance
(impulsion - urge) à assouvir cette
envie par un passage à l’acte sexuel. A mesure que le sentiment de privation augmente, l’envie sexuelle se
fait plus pressante et puissante. Il est également possible que les fantasmes
jouent un rôle dans ce phénomène en renforçant le besoin de satisfaction
immédiate du sujet.
Ø L’étape précédente de la chaîne de l’abus,
le besoin de satisfaction immédiate, peut conduire à elle seule à l’abus
lorsqu’on a affaire à un individu impulsif incapable apparemment de contrôler
son comportement sexuel. Cependant, à partir du moment où un individu décide de
résister à son comportement sexuel abusif, il est possible que la voie qui mène
à l’abus soit sensiblement plus longue. En effet, le sujet éprouve l’ envie de
se laisser aller à un comportement sexuel abusif, mais en même temps il tente
de résister. S’il ne possède pas assez de ressources pour gérer ce conflit, il
est probable qu’il planifie un abus sexuel de façon voilée (cachée = covert), sous la forme de décisions apparemment non pertinentes (insignifiantes,
peu importantes). En effet, si ces décisions, basées sur des ‘distorsions
cognitives’, n’ont en apparence rien à voir avec un comportement délictueux,
elles augmentent toutefois la probabilité de récidive de l’individu.
Ø Le sujet peut ensuite aboutir dans une situation à haut risque
où sont réunis les trois facteurs suivants: 1/ présence effective d’une victime
potentielle, 2/ l’abus est pratiquement possible dans le contexte ou la
situation présente, 3/ le risque que le sujet perde le contrôle de ses actes
est présent dans ce cas précis (la perte étant déterminée par un certain nombre
de facteurs propre au sujet).
Ø Lorsque, dans les situations à haut risque,
l’individu n’arrive pas à se comporter de façon adéquate, trois conséquences
sont possibles. 1/ Il faut s’attendre à ce que, chez un sujet qui se trouve
dans une situation à haut risque, le besoin de
satisfaction immédiate
grandisse. Cela signifie que il
éprouve une excitation, une envie sexuelle (désir) plus forte et que cette
envie sexuelle vise vraisemblablement la victime qui se trouve présente dans
cette situation à haut risque. 2/ Si le
sujet n’arrive pas à se comporter de façon adéquate par rapport à cette
situation à haut risque, sent qu’il commence à perdre le contrôle, il peut
considérer qu’il a échoué. Par conséquent, un sentiment
d’efficience personnelle diminué
peut apparaître: « Je n’y arrive pas, je ne suis capable de rien faire, je
n’arriverai jamais à rien dans la vie ». Comme il a été signalé plus tôt
dans la chaîne des événements qui conduisent à l’abus, un sentiment de
privation donne lieu à un désir de se laisser aller et de soulager
immédiatement ses besoins. Se trouvant déjà dans une situation à haut risque,
il est fort probable que son désir s’oriente vers un comportement de risque
accru d’abus sexuel.
Le
sujet se trouve donc dans un cercle vicieux : son besoin de satisfaction
immédiate donne lieu à un sentiment d’efficience personnelle diminué, ce qui
augmente encore le besoin de satisfaction immédiate, et ainsi de suite. 3/
Enfin, il est également probable qu’une situation à haut risque intensifie les attentes positives de l’individu par rapport à un comportement d’abus sexuel. Plus spécifiquement, cela implique que
l’individu ne considère plus essentiellement les conséquences négatives à long
terme, mais qu’il se laisse tenter par les conséquences positives à court
terme.
Ø Chez les abuseurs sexuels, un faux pas (chute) est
défini comme une récidive partielle, où le sujet répète un comportement d’abus
sans toutefois passer réellement à l’acte. Il peut éventuellement penser
commettre un abus, fantasmer sur celui-ci, penser au plaisir que lui ont
procuré les abus précédents, mais, dans le cas du pédophile par exemple, il se
retient de passer vraiment à l’acte en se masturbant en regardant, par exemple,
des photos d’enfants. Ainsi, sans passer véritablement à l’acte, le pédophile
s’adonne pourtant à des pratiques déviantes. On considère souvent un faux pas
(chute) comme une récidive commise à un niveau fantasmatique.
Ø L’effet de transgression
ou de violation de la règle d’abstinence vient immédiatement après la chute. Ces
termes renvoient à un ensemble de facteurs cognitifs et affectifs qui succèdent
à la chute et qui déterminent si elle sera suivie à son tour par la récidive.
Ø La chaîne des évènements qui conduisent à
l’abus débouche sur la rechute c’est à dire un nouvel abus sexuel.
Sur cette
structure de base que constitue la chaîne des évènements qui conduisent à
l’abus sexuel se greffent des modules thérapeutiques comprenant des techniques
d’intervention psychothérapeutiques propres aux thérapies comportementales et
cognitives. Les modules spécifiques pour abuseurs sexuels sont les suivants.
Ø
Les
interventions pour augmenter la motivation des sujets soignés dans un
cadre de contrainte plus ou moins forte.
Ø
Le
traitement systématique des ‘distorsions
cognitives’. On entend par distorsions cognitives, ces opinions ou
affirmations du sujet à propos de la victime, à propos de l’interaction avec la
victime, à propos des faits, qui ne correspondent pas à la vérité et qui
servent à justifier ou rationaliser, complètement ou en partie, son
comportement ou qui minimalisent sa participation.
Ø
Le
module de traitement de l’excitation
sexuelle comprend un volet pharmacologique et un volet psychothérapeutique.
Ø
Le
module de l’entraînement à l’empathie part
de l’hypothèse (non prouvée) qu’un accroissement des sentiments d’empathie chez
l’abuseur diminue les chances de récidive sexuelle. L’empathie est difficile à
définir mais se compose de plusieurs éléments : la capacité de percevoir
selon la perspective de quelqu’un d’autre, la capacité de réagir
émotionnellement en fonction d’autrui, la capacité d’exprimer de la
compassion et l’attachement aux autres.
Ø
Un
module de psycho-éducation sexuelle.
Le programme de traitement comprend également
des modules thématiques non spécifiques en ce qui concerne l’abus sexuel mais
inclus à la demande selon les exigences du cas particulier :
l’entraînement aux habilités sociales, l’entraînement au gain d’assurance de
soi, un module pour conduites toxicomaniaques, l’entraînement à la régulation
de l’agressivité…
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